Guerre du Tigré : 2 ans après, quel bilan ?

22 août 2022

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Débutée il y a deux ans, la guerre du Tigré, qui oppose le gouvernement fédéral Éthiopien au Front de Libération du Peuple du Tigré (FLPT) et au Front de Libération du Peuple Oromo (FLO) semble-t-elle se diriger vers un dénouement final ?

Ce conflit a officiellement débuté dans la nuit du 3 au 4 Novembre 2020 lorsque le gouvernement Éthiopien a décidé de lancer une offensive à la suite d’une attaque orchestrée par le Front de Libération du Peuple du Tigré (FLPT) contre une base de l’armée fédérale éthiopienne située dans l’Etat du Tigré.

Les raisons qui sous-tendent ce conflit remontent à la nomination du premier ministre actuel Abiy Ahmed à la tête du gouvernement fédéral et des réformes qu’il a entrepris depuis.

En effet, depuis l’entrée en vigueur de la constitution de 1994, l’Ethiopie est un état fédéral divisé en régions, encore appelés États, qui sont établis sur des bases ethniques. Depuis des décennies, l’Ethiopie est dirigé par la même coalition, le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Éthiopien (FDRPE) au sein de laquelle la minorité tigréenne détient une part très significative du pouvoir en tenant compte de sa population, qui ne représente que 6 % de celle du pays . Cette hégémonie est illustrée notamment par les mandats du premier ministre tigréen, Meles Zenawi de 1995 à sa mort en 2012.

En raison de troubles socio-politiques qui ont conduit le pays au report des élections municipales, et à la démission du premier ministre Haile Mariam Dessalegn, le FDRPE a alors désigné un nouvel homme, Abiy Ahmed au poste de premier ministre d’Ethiopie le 02 Avril 2018. Celui-ci entreprend un vaste programme de réformes notamment la libération de dissidents politiques, une ouverture de l’espace démocratique ainsi que le retour à la paix avec l’Erythrée. Cet accomplissement plébiscité par l’ensemble de la communauté internationale lui vaut le prix Nobel de la paix le 11 Octobre 2019.

Le nouveau premier ministre, désireux de donner un nouveau visage à l’institution politique du gouvernement fédéral, décide de réformer la coalition du FDRPE, au sein de laquelle l’Etat du Tigré détient une part importante du pouvoir notamment grâce à ses dirigeants qui en occupent les fonctions clés.

Le retour à la paix avec le voisin Érythréen suscite encore plus de tension avec le Tigré, cette région étant particulièrement exposée aux affrontements et les revendications territoriales des deux pays, lors du conflit qui les opposait dès 2000. Le FLPT accuse le premier ministre Éthiopien Abiy Ahmed, un Oromo (ethnie la plus importante en Éthiopie) d’avoir progressivement marginalisé la minorité Tigréenne ( 6% de la population ) au sein de la coalition au pouvoir, que le parti a quitté depuis 2018, suite à sa réforme.

Mécontentes de la nouvelle politique mise en place par le nouvel homme fort du gouvernement fédéral, les Forces de Libération du Peuple du Tigré (FLPT) attaquent le 04 Novembre 2020, en plus de Dansha, la plus grande base militaire du gouvernement fédéral Éthiopien située à Mekele, la capitale du Tigré. La région du Tigré totalise plus de la moitié de l’ensemble du personnel des forces armées et des divisions mécanisées du pays dans le Commandement du nord à la suite de la guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie.

Selon un rapport du centre de réflexion International Crisis Group (ICG) publié fin octobre 2020, environ 20 % des effectifs totaux de l’armée fédérale Éthiopienne sont originaires du Tigré et ont dans leur grande partie désertée. Ayant effectué un retour sous le commandement des dirigeants du Tigré, les autorités Tigréennes peuvent donc compter sur « une importante force paramilitaire et une milice bien entraînée », dont les effectifs combinés sont estimés à 250 000 hommes et « semblent bénéficier d’un soutien significatif des six millions de Tigréens » car les populations locales leur fournissent nourriture et aide logistique.

En réponse à cette attaque orchestrée par les FLPT le 04 Novembre 2020, le gouvernement fédéral déclare le 05 Novembre 2020 l’état d’urgence pour 6 mois, et lance une offensive de grande ampleur avec artillerie lourde contre les FLPT, dans l’espoir de reprendre le contrôle sur l’Etat du Tigré. Une panoplie d’acteurs se sont impliqués dans le conflit, notamment l’Amhara, un État frontalier du Tigré situé au centre du pays. Ses combattants y appuient les forces gouvernementales. Elles ont notamment pris le contrôle de terres fertiles dans le sud et l’ouest du Tigré, des territoires revendiqués par les Amharas depuis un découpage régional effectué en 1991 par le TPLF au profit du Tigré. Les Etats-Unis ont qualifié cette campagne de « nettoyage ethnique », accusation réfutée par les autorités.

Le 7 novembre 2020, le Conseil de la fédération, la chambre haute éthiopienne, s’est réuni en session extraordinaire et a approuvé une résolution pour établir un gouvernement de transition au Tigré ; cette décision signifiant que le Parlement éthiopien suspend les autorités provinciales du Tigré.

Par ailleurs, l’Érythrée, qui entretient des relations diplomatiques saines depuis le retour à la paix, n’hésite pas à apporter son soutien militaire a l’armée fédérale.

Le 14 novembre, trois missiles balistiques tactiques M20 sont tirés depuis la région du Tigré vers Asmara, la capitale de l’Érythrée. Ces tirs sont revendiqués le lendemain par le FLPT qui accusent l’armée éthiopienne d’utiliser l’aéroport d’Asmara pour bombarder la région et le considèrent donc comme « une cible légitime ». Debretsion Gebremichael, a accusé l’Erythrée d’avoir engagé ses forces dans le conflit en cours, des accusations rejetées par le pays.

La guerre entre les deux camps atteint son apogée lorsque l’armée fédérale après avoir repris plusieurs villes de la région du Tigré, parvient à atteindre sa capitale le 29 Novembre 2020. Toute la région commence à faire face à des pénuries. Le 14 décembre 2020, l’électricité revient partiellement, ainsi que le téléphone dans la ville de Mekele, mais avec encore des pénuries alimentaires, d’eau et d’essence ; en parallèle, l’espace aérien du Tigré est rouvert à la même date. Le gouvernement demande aux employés publics de retourner à leur poste et de vaquer à leurs occupations.

Bien qu’ils n’aient contrôlé aucune grande ville depuis longtemps, les dirigeants du Tigré qui avaient déserté la capitale Mekele, ont affirmé à plusieurs reprises se regrouper dans des zones rurales reculées. Ensemble, le Front de Libération du Peuple du Tigré (FLPT) en coalition avec l’Armée de Libération Oromo, décident de lancer une offensive conjointe le 18 Avril 2021, à trois jours des élections nationales.

Ainsi, le 28 Juin 2021, sept mois jour pour jour après avoir quitté la capitale Mekele face aux assauts de l’armée fédérale Éthiopienne, la capitale régionale est reprise sans combat par les Forces de défense tigréennes et le soir, le gouvernement éthiopien fait l’annonce suivante : « afin que les agriculteurs puissent cultiver paisiblement, que l’aide humanitaire puisse être distribuée en dehors de toute activité militaire, que les forces résiduelles du TPLF puissent reprendre le chemin de la paix, un cessez le feu unilatéral et inconditionnel a été décrété à compter d’aujourd’hui, jusqu’à la fin de la saison des cultures ».

En Juillet, le gouvernement fédéral et les forces Tigréennes ont entamé des négociations pour un cessez-le-feu, après que les forces Tigréennes aient repris une grande partie des villes qui bordent la région, suite aux retraits de l’armée fédérale en raison du cessez-le-feu humanitaire.

Le jeudi 16 juillet, trois régions éthiopiennes, pourtant non limitrophes du Tigré, l’Oromia – la plus vaste et la plus peuplée située au centre du pays -, le Sidama et la Région des Nations, nationalités et peuples du Sud (SNNPR) – toutes deux voisines de l’Oromia -, ont confirmé le déploiement de « forces spéciales » pour contenir les opérations militaires sur le front tigréen. Un soutien armé qui ouvre la voie à un élargissement du conflit.

Le 10 Aout, le cessez-le-feu humanitaire unilatéral annoncé par Addis-Abeba est levé, et le gouvernement fédéral reprend la guerre. Ce moment est marqué par un appel à la mobilisation générale prononcé par le premier ministre Abiy Ahmed. Il explique que « c’est le moment pour tous les Éthiopiens aptes et majeurs de montrer leur patriotisme ».

Les combats durent jusqu’au 20 Décembre 2021 et conduisent les forces de défense Tigréennes après des mois de lutte, à se retirer des régions d’Amhara et Afar pour ouvrir la porte à une aide humanitaire. Le Tigré à nouveau en proie à une violente pénurie, les autorités Tigréennes semblent désormais ouvertes à un cessez-le-feu bilatéral afin de satisfaire aux besoins de la population, prise au piège. Le retrait de ces deux régions était réclamé par le gouvernement comme préalable à toutes négociations. La porte-parole du FLPT après ce retrait annonce dans un communiqué : « notre acte audacieux de retrait sera une ouverture décisive pour la paix ». Le gouvernement fédéral en profite pour reconquérir certaines villes importantes de la région du Tigré, notamment Waja, Alamata, Sekota, ainsi que la totalité de la région d’Amhara excepté la ville d’Arddi Akey.

Le premier ministre Abiy Ahmed, en réponse à l’initiative menée par les autorités Tigréennes, lance le 07 Janvier 2022 un appel à la « réconciliation nationale » ; le même jour il annonce l’amnistie de plusieurs opposants au régime, parmi lesquels des membres du FLPT. Le gouvernement précise que ces libérations ont pour but « d’ouvrir la voie à une solution durable aux problèmes de l’Éthiopie, de façon pacifique et non violente » à travers le « dialogue national ».

Progressivement, le conflit connaît une baisse d’intensité entre les deux camps nonobstant quelques frappes de drones de la part de l’armée fédérale dans les jours qui suivent au camp de déplacés de Dedebit et dans la ville de Mai Tsebri le 7 et le 10 janvier. Le 24 Mars 2022, le gouvernement Éthiopien a déclaré une trêve humanitaire indéfinie, afin de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire dans le Tigré.

Les dommages orchestrés par cette guerre depuis son début en 2020 sont extrêmement importants.

La malnutrition pré-crise au Tigré était déjà en hausse en raison de la COVID-19 et de l’infestation de criquets pèlerins, avec une augmentation de 34% des admissions d’enfants gravement malnutris entre janvier et août 2020, par rapport à la même période en 2019. À la mi-décembre 2020, 950 000 déplacés liés à ce conflit sont recensés, dont 50 000 réfugiés au Soudan.

Au 15 janvier 2021, les routes d’approvisionnement étant coupées et la saison des récoltes affectée par le conflit, les rapports indiquent que la nourriture n’est pas disponible ou est extrêmement limitée sur les marchés dans les camps au Soudan. Par ailleurs, plusieurs camps de réfugiés dans la province du Tigré ont été l’objet de destructions matérielles et de violences.

Le 26 février 2021, Amnesty International dénonce des crimes contre l’humanité au Tigré. L’association de défense des droits de l’homme a rassemblé des dizaines de témoignages qui détaillent des exécutions sommaires « de centaines de civils », perpétrées fin novembre 2020 par l’armée érythréenne. Dans son rapport, Amnesty appelle à une enquête menée par l’ONU sur les violences perpétrées à Axum, dans le cadre d’une enquête internationale plus large sur le conflit qui a débuté le 4 novembre.

Le rapport intervient avec la pression internationale croissante pour que le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, arrivé au pouvoir en 2018, rétablisse la paix. L’Éthiopie reçoit des centaines de millions de dollars d’aide annuelle des États-Unis et de l’Union européenne. Les responsables éthiopiens et érythréens ont nié que les forces érythréennes aient été impliquées dans le conflit du Tigré, malgré les récits des témoins. Après la publication du rapport, le ministre de l’Information de l’Érythrée, Yemane Gebremeskel a contesté les méthodes de recherche d’Amnesty en l’accusant de partialité.

Si des initiatives sont prises de la part des deux acteurs majeurs de cette guerre pour trouver une solution durable et diplomatique au problème, le gouffre qui s’est créé entre les États du gouvernement fédéral Éthiopien semble énorme, et si des solutions véritables ne sont pas apportées rapidement, cela risque de fragiliser le pays pour les générations futures.

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