SUPPRESSION DU TRONC COMMUN : QUELS ENJEUX ? – Par Dr Evrard Zeadé

L’Ecole Préparatoire aux Sciences de la Santé (EPSS) plus connue sous l’appellation de Tronc Commun ou “Tombeau Commun“ (pour ceux qui y sont passés) est une école prestigieuse et de référence dans la sous-région en raison de sa rigueur dans la formation qu’elle offre.

Fondée en 1993 à l’Université Nangui Abrogoua (anciennement Abobo-Adjamé) et destinée à former les cadres supérieurs de la santé du pays (médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes), l’EPSS accueille chaque année près de 4000 étudiants issus pour la plupart des établissements secondaires d’excellence et ayant validé les épreuves du baccalauréat avec brio. Ces étudiants sont appelés à passer ce cap par un concours très sélectif les autorisant chaque année 400 à 600 étudiants (10 à 15%) à poursuivre leurs études en Médecine, Pharmacie ou Odontostomatologie. C’est donc à juste titre que le Tronc Commun est qualifié de goulot d’étranglement.

Cependant, après 30 années d’existence et avoir formé plus des milliers de professionnels de la santé, le système de formation à l’EPSS fait objet de critiques. Certains estiment que la formation à l’EPSS n’est pas de qualité et que l’effectif pléthorique des étudiants est de nature à tirer la qualité de l’enseignement vers le bas. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui aurait suscité sa suppression annoncée le mercredi 2 août par le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Pr Adama Diawara à l’occasion des Journées de l’Orientation du Bachelier à l’Université Félix Houphouët-Boigny. Selon le Ministre, cette réforme est due aux difficultés logistiques et à la volonté d’améliorer la qualité de l’enseignement. L’autre raison évoquée par ce dernier et qui serait méconnue du public est la comptabilisation des cours qui sont dispensés à l’EPSS comme des heures complémentaires payées aux enseignants. Ceci avait donc un fort impact sur le budget de l’Université.

Cette nouvelle réforme a été accueillie avec beaucoup d’inquiétude par la population mais surtout par de nombreux médecins qui eux-mêmes sont passés par le Tronc Commun. C’est le cas de Dr Cherif Osman, Médecin-Urgentiste, par ailleurs président de l’Association Nationale des Médecins de Côte d’Ivoire (ANAMECI). Pour cet ancien de l’EPSS : « le Tronc Commun avait certes un certain nombre d’inconvénients, mais ses avantages étaient plus nombreux. Ce concours représente aujourd’hui le gage d’une certaine fiabilité des études en médecine. Ainsi, supprimer le Tronc Commun serait semblable à jeter le bébé avec l’eau du bain. Il serait préférable de maintenir le concours mais en augmentant le nombre de places disponibles dans les UFR d’accueil. Aussi faut-il offrir la possibilité d’équivalence et de réorientation aux étudiants, comme cela est fait en France et dans plusieurs autres pays. Ceci permettrait aux étudiants qui auraient échoué à l’EPSS de ne pas perdre deux années académiques ».

C’est dans cette même optique qu’étaient réunis en assemblée générale extraordinaire le 8 août dernier à l’UFR des Sciences Médicales d’Abidjan, les militants du Syndicat National des Etudiants en Sciences de la Santé (SYNESS) qui n’ont pas manqué de manifester leur inquiétude vis-à-vis de la nouvelle réforme visant à supprimer le Tronc Commun. Ce sont plus de 200 étudiants, portés par leur leader, le secrétaire général national Kader Agnissan qui espèrent que leur voix soit entendue par le gouvernement afin de freiner ce processus de transformation du système éducatif dans les UFR des sciences de la santé.

  

Cependant, cette lutte n’est pas l’apanage de tous les professionnels de la santé du pays. Certains d’entre eux se mettent du côté du gouvernement pour défendre l’idée de la suppression de l’EPSS. C’est le cas de Dr Sorel Yoboué, Médecin à l’antenne de Bouaké de l’Institut National de Santé Publique qui, au cours d’une interview accordée, nous révèle ses sentiments après l’annonce faite par le Ministre. « Pour ma part, une école préparatoire a pour vocation de former des étudiants afin qu’ils intègrent des structures pour mettre à profit leurs acquis. Le Tronc Commun n’avait plus cette vocation. Il se vante du taux d’échec au-dessus de 80% ainsi que des péripéties que vivent les étudiants. Nous sommes tous sans ignorer que les conditions dans lesquelles se déroulent les années académiques sont désuètes. L’EPSS s’est transformée en un temple de souffrance. Les étudiants y vivent le martyr. C’est d’ailleurs un système qui génère plus d’échec que de cadre de la santé. Et c’est vraiment dommage car à travers ce système, l’Etat investit dans la formation de plus de 3000 étudiants qui n’embrasseront pas la carrière médicale. Un énorme coût financier qu’on pourrait réduire par l’autonomie des UFR dans la formation de leurs étudiants dès la Licence 1. »

Désormais, selon le Ministre Adama Diawara, les étudiants intégreront directement les différentes UFR des sciences de la santé de leur choix, et les seuls critères qui seront pris en compte dans leur orientation comprennent l’âge et les notes dans les matières cibles à l’épreuve du baccalauréat. En effet, tout étudiant désireux d’être cadre supérieur de la santé devra non seulement avoir moins de 23 ans au moment de l’obtention du baccalauréat, mais aussi obtenir au moins 12/20 dans les matières spécifiques que sont les Mathématiques, la Physique-Chimie et les Sciences de la Vie et de la Terre (SVT). C’est donc au total 800 étudiants qui se verront chaque année orientés dans les filières des sciences de la santé d’Abidjan et de Bouaké suivant les critères de sélection sus-cités et selon l’ordre de mérite.

Cependant, les questions que l’on se pose relativement à cette nouvelle réforme sont liées à la fiabilité de ce système d’orientation. Un élève ayant nourri l’idée de devenir Médecin ou Pharmacien, et qui, par manque de concentration n’a pas pu obtenir 12/20 en Mathématiques à l’épreuve du baccalauréat¸ ne serait-il pas tenté d’envisager d’autres moyens pour réaliser son rêve ? Que dire de celui qui respectera ces conditions mais en obtenant des notes élevées au baccalauréat par la tricherie (bac WhatsApp) ? Cette réforme ne va-t-elle pas briser certains rêves et par ailleurs favoriser la mesquinerie dans un système qui jusque-là était réputé imperméable à la corruption ? L’autorisation d’établissements privés à la formation des cadres supérieurs de la santé n’est-elle pas synonyme de décadence intellectuelle de nos futurs soignants ? Ces établissements vont-ils réellement respecter les critères de sélection sur la base du mérite et ce, au détriment de leur chiffre d’affaires ?

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