Révolte des Abbey
Quatre versions différentes expliquent la mort de Rubino
Voici les quatre thèses qui pourraient expliquer la mort de Rubino
L’un des noms des colons qui ont marqué l’histoire du peuple Abbey, est bel et bien celui de Rubino. L’homme, dont le nom a été attribué à un village d’Agboville, le chef-lieu de la région de l’Agneby-Tiassa, où vivent majoritairement les Abbey, est mort dans des circonstances qui n’ont jusqu’à ce jour pas encore été clairement élucidées. Employé à la Compagnie française de l’Afrique de l’Ouest (CFAO), Rubino a perdu la vie le 7 Janvier 1910, au moment où les Abbey se sont révoltés à plusieurs endroits contre le pouvoir colonial. A ce jour, quatre thèses expliquent la mort du colon.
Selon la première version, qui émane des milieux coloniaux officiels, les insurgés notamment les Abbey ont saccagé la voie ferrée au niveau du village de Bouroukrou. Ils ont fait descendre Rubino, le seul voyageur européen du train qui passait par là, lui ont tiré deux balles dans la poitrine avant de le décapiter. Son corps a été retrouvé à côté du train et sa tête à 200 mètres de là.
Un autre témoignage est rendu par le mécanicien sénégalais Baccary, l’un des voyageurs rescapés de l’assaut du train, qui a eu lieu dans le village de Bouroukrou. Selon ses propos rapportés par la revue populaire hebdomadaire Journal des voyages, les Abbey ont démoli la porte du wagon dans lequel était caché Rubino. L’ayant ramené au village, il ajoute : « Ce n’est pas sans un frisson d’épouvante et d’horreur que nous nous représentons le supplice de ce malheureux Rubino […] emmené au village où il est livré aux femmes, qui sont les plus cruelles. Nous ne devions retrouver sa tête que dix jours après sa mort, dans la case du chef de village. Le corps fut découvert dans un état pitoyable, à trois kilomètres de l’endroit où fut trouvée la tête ».
La troisième version est faite par le nouveau lieutenant-gouverneur de la Côte d’Ivoire, Raphaël Antonetti, qui avait remplacé Angoulvant en 1918. Si l’on s’en tient aux révélations faites par ce dernier, qui interviennent huit ans après les faits, le pauvre Rubino aurait subi d’horribles sévices corporels avant de succomber. Ils lui détachèrent alors la peau du dos qu’ils présentèrent, puis la peau des fesses, puis l’anus, ensuite ils lui arrachèrent un des yeux qui fut présenté au seul œil restant au malheureux. Enfin ils firent l’ablation des parties sexuelles qu’ils lui introduisirent dans la bouche. Respirant encore, Rubino fut ensuite coupé en morceaux et chaque village adhérant à la révolte reçut un de ces morceaux.
Recueillie en 2005 par un récit oral de Nanan Okoma Calvaire, fils d’un « acteur clé de la révolte », la quatrième version fait état d’une situation plus pathétique. En effet, selon celle-ci, le corps du malheureux Rubino aurait en effet été préparé en sauce et laissé dans un village abandonné par ses habitants. Lorsque les colons étaient arrivés, trouvant un repas tout prêt, ils s’étaient rués dessus avec gourmandise jusqu’à ce qu’ils aient découvert avec horreur le doigt d’une main humaine, appartenant au pauvre Rubino, comme l’attestait sa bague. Les insurgés ont agi de la sorte pour faire payer à Rubino, sa traîtrise. A l’époque, les colons et les tirailleurs venaient brutaliser les populations qui s’opposaient aux travaux forcés. Et cela aux cours de la fête des ignames. Quand les colons les surprenaient au cours de la célébration de cette fête, ils massacraient les femmes et les enfants, saccageaient le village, mangeaient la nourriture qui était préparée pour la fête et emportaient par la suite tout ce qu’ils pouvaient emporter. Les villageois ont fini par apprendre que c’est le commerçant Rubino qui transitait par leur région et à qui ils donnaient gîte et couvert qui informait l’administration coloniale des moments propices où l’armée coloniale pouvait trouver tout le monde en place. Ils ont alors agi en conséquence de cause.
A quelle version faut-il alors finalement se fier ? La question reste posée.
Jeremy Junior