Interview – Pr Serge AFELI

24 juillet 2023

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Dans cette interview menée par le Dr Emmanuel Mian, le Pr Serge Afeli, professeur agrégé de pharmacologie clinique et directeur de l’innovation et de l’entrepreneuriat à la Presbyterian College School of Pharmacy en Caroloine du Sud, revient sur son riche parcours, entre la Côte d’Ivoire et les Etats-Unis, sa carrière de Basketteur, sa passion pour les questions liées à l’entrepreneuriat et son désir de contribuer à la formation de jeunes africains.  Très bonne lecture.

Bonjour Professeur, ravi de vous avoir pour cet entretien. On commence par les présentations ?

Je suis Serge Afeli, professeur agrégé de pharmacologie à la Presbyterian College School of Pharmacy en Caroline du Sud. Je suis né et ai grandi en Côte d’Ivoire où j’ai fait mes études primaires et secondaires et une partie de mes études universitaires avant de m’envoler pour les Etats-Unis en 2005 à la faveur d’une bourse sport-études de basketball. Arrivé aux Etats-Unis, j’ai fait un bachelor en sciences générales et chimie, un PhD en pharmacologie et finalement un master en administration de services de santé.

Félicitations pour ce parcours. Il n’a pas été linéaire cependant, puisque vous avez démarré vos études en Côte d’Ivoire, avant de vous retrouver aux Etats-Unis. Comment s’est effectuée cette transition ?

La transition n’a pas été facile car il fallait s’adapter très rapidement à beaucoup de choses notamment la langue, la culture américaine, le climat et surtout au haut niveau de compétitivité dans l’équipe de basketball qui m’avait recruté. Donc forcément, il faut avoir une grande force de caractère pour tenir le cap à tous ces niveaux sinon c’était la débâcle assurée. Au niveau des études c’était relativement facile car j’avais des bases solides. J’avais fait un lycée d’excellence en l’occurrence le Lycée Classique d’Abidjan et réussi au tronc commun avant d’être orienté en pharmacie où j’ai été premier de ma promotion tout cela en étant basketteur. Au niveau du basket ici, c’était très difficile car je quittais un système où on s’entraînait 3 à 4 fois par semaine pour un total de 7 à 8 heures pour un système où on s’entraîne 3 à 4 heures par jour y compris la musculation et cela 5 à 6 jours par semaine. A cela il faut aussi ajouter les études et les voyages pour les matchs et surtout le froid. Mais on finit par s’y habituer après deux à trois années.

Vous avez été Basketteur pendant quelques années, avant de revenir aux études. En quoi était-ce nécessaire à ce moment précis de votre carrière ? Et pourquoi avoir opté pour des études en sciences encore une fois ?

J’ai commencé à jouer au basketball à l’âge de 11 ans et très vite cela est devenu une passion pour moi. Je passais des heures et des heures à m’entraîner ce qui m’a ouvert les portes de l’équipe nationale espoir puis senior plus tard. Mon rêve était de jouer un jour en NBA et donc quand j’ai eu l’occasion de venir tenter ma chance à l’université aux Etats-Unis, j’ai tout laissé tomber au pays sans hésiter. Malheureusement je n’ai pas eu beaucoup de succès une fois sur place. La compétition était très intense et il me fallait plus de temps pour m’adapter au système. Malheureusement je n’avais que deux années d’éligibilité pour faire mes preuves et me faire remarquer par les scouts NBA ce qui était largement insuffisant pour quelqu’un qui venait d’Afrique. Quand on a une bourse sport-études on est obligé de continuer les études pendant qu’on joue au basket à l’université donc il n’y a pas de pause à vrai dire. A la fin de ma carrière universitaire aux Etats-Unis, j’avais deux choix. Soit aller poursuivre une carrière de basketteur professionnel en Europe ou en Asie comme l’ont fait plusieurs de mes coéquipiers qui n’ont pas pu entrer en NBA comme moi ou rester sur place et continuer mes études pour obtenir mon doctorat. J’ai d’abord tenté une brève expérience de basketteur professionnel en France mais les problèmes de visa et surtout la naissance de mon fils ont fait que j’ai décidé de retourner aux Etats-Unis pour reprendre mes études en pharmacie. J’ai toujours aimé le métier de pharmacien et donc pour moi la question ne se posait même pas s’il y avait un autre choix à faire.

Revenons-en à vos fonctions actuelles. Vous êtes professeur de pharmacologie clinique dans une université américaine et êtes en parallèle très impliqué dans diverses activités, et notamment sur les questions liées à l’entrepreneuriat. Programme chargé donc, quel lien faites-vous entre toutes ces initiatives ?

Le domaine pharmaceutique est un domaine très vaste ou beaucoup de découvertes et d’innovations restent à faire. L’idée d’utiliser les résultats de mes travaux de recherches ou mes connaissances scientifiques pour développer de nouveaux produits qui peuvent aider à résoudre des problèmes de santé est quelque chose que j’aimerais accomplir dans ma carrière d’où mon intérêt pour l’entrepreneuriat. Il faut aussi reconnaître que j’ai été « contaminé » par la manière de penser des américains. Leur esprit d’initiative et d’innovation fait rêver et inspire. J’ai donc monté en 2013, Afeli Pharmaceuticals qui est mon laboratoire de recherche et de fabrication de produits à usage pharmaceutique. Pour l’instant, je développe et commercialise des formulations de compléments alimentaires pour femmes enceintes et allaitantes, pour les personnes souffrant de douleurs articulaires et aussi celles qui aimeraient perdre du poids. Je travaille aussi à étendre mon expertise sur d’autres produits qui luttent contre le cancer et les maladies cardiovasculaires qui on le sait deviennent de plus en plus prépondérantes en Afrique.

Pour en revenir à la question précise de l’entrepreneuriat, les Etats-Unis sont connus comme une terre de référence à ce sujet avec des sommités comme Bill Gates, Elon Musk, Warren Buffet, pour ne citer que celles-là. Pour vous, quels facteurs favorisent la réussite de ce pays ?

Je crois que tout part de la mentalité (mindset) et de l’environnement (écosystème). Qu’on le veuille ou pas, l’environnement où l’on vit a un impact indéniable sur notre comportement. Les Etats-Unis sont connus comme la terre des opportunités, où l’on peut tout essayer dans une certaine mesure. Et même si vous échouez au premier coup, vous avez le droit de recommencer autant de fois que vous pouvez et vous trouverez toujours des gens prêts à vous encourager et vous aider. Ici la plupart des gens sont contents de vous voir réussir ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. L’autre aspect qui favorise la réussite entrepreneuriale est l’accès aux capitaux soit à travers les subventions gouvernementales ou les investisseurs privés. L’idée ici c’est de faire de l’entrepreneuriat une seconde nature chez les gens. Les Etats-Unis ont un système qui facilite la création d’entreprises car plus il y en a, plus la probabilité d’avoir des champions nationaux ou des licornes s’accroît. Tout est une question de volume. Pour chaque Bill Gates ou Elon Musk qui a réussi, il y a eu des centaines de start-ups qui ont échoué en route et tout cela fait partie du dynamisme de l’écosystème.

Qu’est-ce qui manque aux écosystèmes des pays africains pour parvenir à ce type de performance ?

D’abord, je crois que la législation autour de la création d’une entreprise doit être simplifiée autant que possible. Aux Etats-Unis, n’importe qui peut monter une entreprise. Peu importe votre âge, vos ressources financières, ou même votre statut d’immigration vous pouvez faire enregistrer votre LLC en ligne en moins de dix minutes. Dans certains pays Africains, cette procédure peut prendre des semaines voire des mois ce qui tend à décourager certains et à conforter d’autres dans l’informel. Il est aussi important d’offrir des formations sur l’entrepreneuriat à toute personne le désirant et cela à des coûts raisonnables. Un autre aspect consiste à faciliter l’accès à l’information sur comment monter une entreprise, créer un business plan, recruter des employés, etc. Ensuite, il y a les accompagnements fiscaux qui doivent être revus. Par exemple, tout individu qui décide de se lancer dans l’entrepreneuriat devrait pouvoir bénéficier d’exonération ou de déduction fiscale. Cette exonération ne devrait pas uniquement être réservée aux grosses entreprises mais doit être étendue à tous les entrepreneurs y compris la vendeuse de bananes du marché et le boutiquier du quartier. Une fois que ces bases seront mises en place, vous verrez que les choses se feront d’elles-mêmes et les success stories se succéderont les unes après les autres.       

Pour vous quels types d’actions peuvent être menés à court moyen terme pour essayer d’améliorer les choses ? Dans un pays comme la Côte d’Ivoire par exemple ?

Je vais vous surprendre mais je pense que la Côte d’Ivoire est un pays d’entrepreneurs. Vous n’avez qu’à sillonner les rues d’Abidjan ou de l’intérieur du pays et vous verrez le nombre de commerces qu’il y a. Tous ces “petits” commerçants que vous voyez sont des entrepreneurs qui malheureusement ne sont pas accompagnés et sont laissés dans l’informel. Parce qu’ils n’ont pas de registre de commerce, ils ne paient pas d’impôts ce qui représente un gros manque à gagner pour les caisses de l’État. Vous vous imaginez si les vendeuses d’attiéké poisson, les garbadromes, les charbonniers, les boutiquiers et autres petits commerces payaient des impôts ? Ne serait-ce que dix mille francs CFA par an? Au bout de 10 ans de collecte, le pays pourrait s’autofinancer pour plein de projets comme les écoles, les dispensaires, les routes, etc. Il nous suffit de redéfinir ou clarifier le terme entrepreneuriat pour inclure toutes ces personnes et le tour sera joué. A moyen terme, il faudra trouver les ressources pour accompagner financièrement ces commerces et les coacher pour qu’ils puissent avoir accès au crédit bancaire ou à des subventions de l’État. Je pense que de plus en plus d’initiatives gouvernementales et privées incitent les uns et les autres à l’entrepreneuriat ce qui est déjà une bonne chose et il faut continuer sur cette lancée.

Vous envisagez de fournir des services dans les domaines du leadership et de l’entrepreneuriat justement, ce qui est une très bonne chose compte tenu de votre expérience. Quels sont les éléments sur lesquels vous compter orienter votre action ? Pour quels résultats attendus ?

Cela fait maintenant 6 ans que je dirige le département de l’innovation et de l’entrepreneuriat au sein de mon université. Nous offrons des cours didactiques et expériences professionnelles qui débouchent sur un certificat d’entrepreneuriat. Les étudiants en pharmacie qui prennent l’option entrepreneuriat sont formés aux notions entrepreneuriales en commençant par la conception d’une idée à la création d’un business plan et son implémentation. Je suis aussi business coach au sein d’un incubateur et partage régulièrement mon expertise avec les start-ups installées dans ma ville ici aux Etats-Unis. Je voyage régulièrement à travers les Etats-Unis avec mes étudiants pour servir de business coach ou de juge pendant des compétitions de business plan notamment au MIT, à Harvard university et Clemson University. Je suis régulièrement sollicité par des proches, des amis ou des personnes qui sont dans mon réseau pour des sessions de coaching sur la carrière professionnelle, l’entrepreneuriat, les finances, l’immigration, et les études universitaires aux Etats-Unis. J’ai coaché des collègues Africains pour qu’ils obtiennent leur agrégation ici aux Etats-Unis ou même pour qu’ils aient des promotions. Malheureusement beaucoup de personnes notamment en Afrique et en Europe ne me connaissent pas. J’aimerais donc offrir mes services à cette audience qui a grand besoin d’expertise comme la mienne. De nos jours, les réseaux sociaux ont fait que le coaching est devenu un phénomène de mode où tout le monde peut se proclamer coach peu importe le niveau d’éducation, d’expérience ou même de probité et cela a des conséquences très désastreuses sur les personnes en quête de savoir et surtout la jeunesse. Je prévois donc de créer un cadre formel et professionnel où je pourrais accompagner les personnes à accomplir leurs ambitions que ce soit dans le leadership, l’entrepreneuriat, la carrière professionnelle, le développement personnel ou les études supérieures.     

Etes-vous afro-optimiste ou plutôt afro-sceptique ? Comment entrevoyez-vous l’avenir de ce continent ?

Je dirais que je suis afro-optimiste avec une forte dose de pragmatisme. En tant que leader je n’ai pas d’autre choix que d’être optimiste en l’avenir de l’Afrique. Le développement de l’Afrique ne se décrètera pas. Il va s’acquérir par le travail acharné et la persévérance dans l’effort et en se mettant ensemble pour partager des idées progressistes et humanistes mais surtout avec un fort leadership. Les beaux jours de l’Afrique sont devant elle, il faut y croire et se mettre au travail. L’Europe et les Etats-Unis sont passés par là avant d’y arriver et nous aussi allons y parvenir.   

Un mot de fin ?

Merci infiniment pour l’opportunité que vous m’avez offerte à travers cette interview. Je vous souhaite plein succès pour la suite.

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