Interview – Gilles N’Gatta
Avec une riche expérience dans la coordination de projets structurants de politiques publiques, Gilles N’Gatta intervient précisément sur les thématiques de réformes organisationnelles et d’élaboration de plans stratégiques dans l’accompagnement du secteur public et des institutions internationales sur des projets à fort impact social. Il a opté pour un accompagnement des pays en développement de la zone Afrique subsaharienne pour lesquels le besoin de réformes, de planification et de mise en œuvre est crucial.
Dans cette interview avec le Dr Emmanuel Mian, Directeur de publication et Rédacteur en chef de Mian Media et Président de Denkyem Institute, il se prononce sur des sujets relatifs à son expertise.
Bonjour M. N’Gatta. Merci de nous accorder cette entrevue. Pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Merci à vous pour l’honneur, en me proposant cette discussion. Je me nomme Gilles N’Gatta avec 7 années d’expériences dans le conseil (consulting). C’est un métier passionnant et vaste dans lequel j’ai fait le choix sectoriel de soutenir le secteur public en accompagnant nos gouvernements et pays dans leurs projets de développement.
Pour ce qui est relatif à ma formation, après avoir fait deux années de classes préparatoires en mathématiques (MPSI/PM*) à l’INPHB, j’ai eu l’opportunité de bénéficier ensuite d’une formation d’ingénieur en modélisation et en économie appliquée à l’ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée d’Abidjan).
Je reste très sensible aux problématiques transversales de bonne gouvernance, de durabilité et de genre dans le soutien aux pays et gouvernements.
Riche parcours. Avec une constante néanmoins : l’orientation sur les sujets de politiques publiques. Comment en êtes-vous arrivé à ce choix ?
C’est un choix qui s’est fait naturellement. En clair, indépendamment de ma carrière et de ma profession, j’ai depuis longtemps participé activement dans l’activité de plusieurs ONG de soutien à l’éducation et à l’intégration sociale des enfants et des jeunes. C’est en effet un sacerdoce que je vis. Ainsi, dès le début de ma carrière dans le conseil, je me suis spontanément rapproché aux types de projets dans lesquels l’accent est mis sur le bien-être des populations dans leur grande masse. C’est ainsi que le « Public Policy » s’est imposé et continue d’être le centre de mon intérêt professionnel.
Pourquoi, malgré votre choix pour les projets de développement, vous préférez une carrière dans de grands groupes privés, au détriment du secteur public, national ou international ?
Pour l’heure, je préfère rester en emploi dans des groupes privés, précisément dans des cabinets de conseil, pour deux raisons. D’une part, cela me permet de soutenir le développement et d’avoir des positions indépendantes et objectives dans l’assistance que j’apporte aux structures publiques et gouvernementales. Et d’autre part, cette position me permet d’intervenir sur plusieurs sujets passionnants et différents en passant d’un projet à un autre : aujourd’hui dans l’éducation, demain dans l’industrialisation et après une autre thématique. Et tout ceci fait sens car pour soutenir réellement le développement il faut avoir une approche systémique et proscrire les approches focalisées et isolées.
Passons à présent à des sujets plus techniques. Parlons emploi des jeunes. On se souvient d’une déclaration d’un ministre ivoirien il y a quelques années qui avait provoqué un tollé devant le chiffre de taux de chômage qu’il avait avancé (moins de 5%). Pouvez-vous dresser un tableau aujourd’hui, données chiffrées à l’appui de la situation de l’emploi, et plus spécifiquement de l’emploi des jeunes en Côte d’Ivoire ?
Ce chiffre avancé n’était pas faux dans l’absolue. La définition stricto sensu du chômage au sens du BIT exclut de fait plusieurs réalités locales. Pour exemple, le gérant de cabine téléphonique en quête d’une condition favorable, le diplômé poursuivant une ultime formation en attendant une opportunité qui tarde (…) et bien d’autres cas, ne sont pas considérés comme des chômeurs.
De ce point de vue, les taux dans nos pays peuvent facilement être sous-estimés. Ainsi, la banque Mondiale a confirmé cette tendance en estimant le taux de chômage à 3,5% en 2020 en Côte d’Ivoire. Je crois que des indicateurs comme le taux d’emploi non-précaire et aussi le taux des populations actives ayant un revenu au-dessus du SMIG me paraissent plus pertinents tenant compte de la structure socio-économique de notre pays.
Plusieurs pistes sont évoquées, en vue de juguler le problème. Parmi elles, la promotion de l’entrepreneuriat semble avoir la faveur des décideurs. Pensez-vous qu’il s’agit de la direction à prendre ?
L’entrepreneuriat est un levier pertinent pour réduire et contenir le chômage. Il permet de créer de la valeur et aussi des emplois dans la mesure où un projet entrepreneurial qui marche peut absorber a minima 3-5 chômeurs qui à leur tour vont améliorer les conditions de vie de leur familles respectives.
Cela étant dit, il reste déterminant que le projet entrepreneurial corresponde à un besoin clairement identifié. De même, il est important que l’entrepreneur soit suffisamment sensibilisé (compétence-formation, connaissance, réseau, etc.) sur son projet. Et pour finir, il faut savoir qu’il est avantageux pour l’entrepreneur voulant accroitre la maturité de son entreprise d’avoir accès aux financements avec si possible un accompagnement de systèmes de garanties aux PME/PMI.
Le secteur agricole étant un pilier de l’économie de la Côte d’Ivoire, de nombreux experts y voient une opportunité pour résorber le chômage, en misant sur le développement de l’agro-industrie. Solution pertinente ?
Bien sûr, le PND 2020-2025 consacre une place importante à l’industrialisation et notamment à l’agro-industrie. Notons que le secteur primaire (essentiellement agricole) emploie en moyenne 4 ivoiriens sur 10. On peut en déduire qu’une industrialisation accélérée et viable de ce secteur va stabiliser les emplois du secteur primaire et créer de nouveaux emplois pour le secteur secondaire.
Je crois que c’est un processus qui est en cours et qui a connu une belle croissance ces dernières années avec plus de 30% de transformation primaire du cacao, plus de 95% de l’huile de palme et des processus similaires dans l’anacarde et bien d’autres filières agricoles.
Toujours sur les questions agricoles, l’on a récemment été témoins du bras de fer entre les autorités ivoiriennes et ghanéennes, et les multinationales, au sujet du Différentiel de Revenu Décent (DRD) à accorder aux planteurs. Quelle lecture en faites-vous ?
C’est un sujet sur lequel j’ai eu l’opportunité de travailler en tant que consultant. La réalité des chiffres, est que moins de 6% des revenus de la chaine de valeur mondiale du cacao revient aux planteurs, lorsque l’on considère toute la chaine de valeur en partant de la production à la commercialisation aux niveaux des grands chocolatiers. De plus, les prix bords champs appliqués et proposés par la réforme du cacao en 2012 (60% du prix du marché international) ne permettent pas de couvrir totalement les charges d’investissement et d’exploitation des producteurs.
C’est ainsi que le couple Ghana-Côte d’Ivoire, soucieux de réduire la situation de précarité que vit certains producteurs a proposé depuis 2020 d’appliquer un Différentiel de Revenu Décent (DRD) de 250 F CFA (400 USD) sur chaque tonne de fèves vendue, afin de mieux rémunérer leurs planteurs.
Le problème à ce jour se trouve au niveau de son application. Je crois qu’il serait intéressant de réactiver les discussions avec les exportateurs et les acteurs du cacao afin de revalider les conditions d’application du DRD.
Le succès de ce pays repose-t-il toujours sur l’agriculture ?
Oui je le crois, d’autant plus que j’ai noté que 4 ivoiriens sur 10 travaillent dans ce secteur selon la Banque Mondiale. Cependant, le rêve ce n’est pas de maintenir le pays dans le secteur primaire. Il est important de continuer à accélérer l’industrialisation et d’accroitre le poids des services et des activités commerciales dans l’économie en s’appuyant sur le secteur primaire.
Car seuls l’industrialisation et les services peuvent créer une condition de prospérité viable pour nos populations.
Quel état des lieux faites-vous de la situation de l’économie ivoirienne, et comment en percevez-vous l’évolution, à court/moyen terme ?
Avec une croissance constante du PIB depuis un peu plus d’une décennie, il est tout à fait logique de se satisfaire de la marche globale de l’économie ivoirienne.
Notons cependant, qu’il peut s’avérer plus fastidieux de construire des hommes que de construire des infrastructures. Il faut donc poursuivre la distribution des richesses en créant plus d’emplois stables et surtout en continuant de rehausser la qualité de l’éducation en particulier et des services publics aux populations en général.
Un mot de fin ?
Je tiens à vous remercier pour cette discussion et je vous félicite pour les cadres d’expression et de discussion que vous offrez par le biais de votre think-tank et de votre média.
Pour la jeunesse ivoirienne à laquelle nous appartenons, croyons fermement aux opportunités et aux rêves d’un avenir meilleur pour nous et notre nation.