Interview Dr Hermann Yao
- Bonsoir Dr. Merci de nous recevoir. Et si on commençait par les présentations ?
Bonjour. Je suis le Docteur Hermann YAO, cardiologue interventionnel à l’Institut de cardiologie d’Abidjan. Je suis également Maître-Assistant de cardiologie à l’Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire).
J’ai fait mes études de Médecine à l’Université Nangui-Abrogoua (ex-Abobo Adjamé) puis à l’Université Félix-Houphouët Boigny où j’ai obtenu mon Doctorat en 2012. J’ai été Interne des Hôpitaux de 2009 à 2013 puis Chef de Clinique Assistant de cardiologie en 2015 et depuis 2018, Maître-Assistant de cardiologie.
De 2018 à 2020, j’ai effectué un stage en France au Centre Hospitalier et Universitaire de Dijon-Bourgogne dans le cadre de mon Diplôme Inter-Universitaire de cardiologie Interventionnelle (Paris, 2020). J’ai également un Diplôme Inter-Universitaire d’Urgences et de Soins Intensifs Cardiologiques (Lyon, 2019) et un Master 2 en Méthodologie et Statistiques en Recherche Biomédicale (Paris, 2020).
- Félicitations pour ce parcours. A quel moment de votre cursus médical avez-vous su que vous vouliez vous orienter vers la cardiologie ? Et quelles ont été les raisons ?
Merci beaucoup. Premièrement, c’était en cinquième année de Médecine, lors de mon stage de cardiologie à l’Institut de cardiologie d’Abidjan. J’avoue que l’encadrement que j’ai reçu au cours de ces quelques mois m’a vraiment donné envie de faire de la cardiologie. Mes parents aussi m’ont beaucoup encouragé à embrasser cette spécialité qui touche selon eux, au « moteur » de l’organisme (rires). Et cette volonté a été renforcée au cours de mon Internat par l’émergence des maladies cardiovasculaires en Côte d’Ivoire comme dans la plupart des pays d’Afrique sub-Saharienne, et cela se ressentait dans notre pratique quotidienne.
- Vous êtes l’un des rares cardiologues interventionnels de Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre discipline ?
La cardiologie interventionnelle est une spécialité assez pointue qui regroupe un ensemble de techniques qui permettent de réaliser des interventions sur le cœur ou les vaisseaux sans recours à la chirurgie. En d’autres termes, on va pouvoir visualiser le cœur ou les vaisseaux, détecter les zones malades et effectuer des interventions souvent lourdes sans chirurgie. Elle est souvent réalisée en urgence, comme c’est le cas chez les patients présentant une crise cardiaque (ou infarctus du myocarde), où elle permet de recanaliser l’artère du cœur qui vient de se boucher. C’est dans cette situation que la cardiologie interventionnelle a écrit ses lettres de noblesse car elle a permis de sauver la vie de nombreux patients.
J’ai embrassé cette discipline car l’infarctus du myocarde est aujourd’hui la première cause de mortalité dans le monde, y compris dans les pays en voie développement selon les données de l’OMS. J’ai voulu ainsi contribuer à une meilleure prise en charge mais aussi une meilleure connaissance de ces affections encore méconnues chez nous.
Je suis en effet le troisième cardiologue de la Côte d’Ivoire à avoir été formé à cette spécialité après le Professeur Roland N’GUETTA et le Dr Arnaud EKOU. Je travaille d’ailleurs avec eux au quotidien à l’Institut de cardiologie d’Abidjan. Deux autres collègues viennent d’achever leur formation portant à 5 le nombre de cardiologues interventionnels en Côte d’Ivoire. A titre de comparaison, la France compte plus de 1000 cardiologues interventionnels pour 65 millions d’Habitants. Cela montre tout le chemin qu’il nous reste à faire.
- Disposez-vous de tous les équipements nécessaires à la pratique de cette discipline sur place à Abidjan ?
Oui, nous avons la chance de disposer à l’Institut de cardiologie d’Abidjan d’une salle de cathétérisme cardiaque performante pour réaliser nos procédures. Une deuxième salle est en cours de construction et sera livrée avant la fin d’année. Les difficultés résident souvent dans l’approvisionnement en certains consommables. Deux autres centres hospitaliers privés aussi disposent de ces mêmes équipements à Abidjan.
- Pouvez-vous nous en dire plus sur votre activité au quotidien ? Quelle est la journée type d’un cardiologue interventionnel ?
Je passe la plupart de mes matinées en salle de cathétérisme où je réalise des coronarographies (examens consistant à visualiser les artères du cœur) et des angioplasties coronaires (traitement des artères du cœur par dilatation et pose de stent). Pour cela je peux être contacté à n’importe quelle heure, parfois tard dans la nuit et même les week-ends s’il y a des urgences.
Lorsque je ne suis pas au bloc, je suis d’astreinte aux urgences de cardiologie ou en consultation pour recevoir mes patients.
- Une délégation française de l’Hôpital Américain de Paris a il y a quelques semaines effectué un séjour en Côte d’Ivoire dans le cadre d’un partenariat avec la PISAM. Il est ressorti de l’entretien avec l’un des Médecins que l’hypertension artérielle est très présente au sein de la population ivoirienne. Avez-vous le même ressenti ?
L’hypertension artérielle est un problème de santé publique, surtout en Afrique sub-Saharienne où ces dernières années elle connaît une progression plus importante que dans le reste du monde. La Côte d’Ivoire n’échappe pas à ce constat ; l’hypertension artérielle a une prévalence importante parmi la population adulte, estimée entre 20 et 30% selon les dernières données disponibles. Bien entendu, cette affection va être responsable de complications cardiovasculaires assez graves, comme l’accident vasculaire cérébral, l’insuffisance rénale, l’insuffisance cardiaque et l’infarctus du myocarde. Il convient donc de la prévenir par une bonne hygiène de vie, une alimentation équilibrée et saine mais aussi par une prise en charge de façon précoce et adéquate par des professionnels de santé.
- Vous avez embrassé la carrière universitaire. Quelles sont vos perspectives dans les 5 prochaines années ?
C’est vrai qu’on s’engage dans une carrière universitaire pour devenir Professeur un jour ! Si tout se passe bien, je pourrais passer Maître de Conférences Agrégé d’ici 2 ans. Ma principale motivation n’est pas tant le titre mais c’est d’avoir un apport significatif pour sauver et améliorer la vie des patients atteints de pathologies cardio-vasculaires. Ensuite, je souhaite conduire des projets de recherche dans mon centre avec pour finalité d’avoir un vrai impact pour la santé de mes patients. Je veux aussi contribuer à développer la cardiologie interventionnelle en Côte d’Ivoire qui a aujourd’hui un champ d’action très large en cardiologie, surtout dans notre contexte où la chirurgie n’est pas toujours accessible et est plus onéreuse. J’espère enfin pouvoir participer à la formation des étudiants en Médecine et des cardiologues en formation, voire des cardiologues qui seront intéressés par ma spécialité.
8. Quelques mots pour les jeunes qui rêvent d’avoir un parcours comme le vôtre ?
Je veux tout d’abord leur dire d’être ambitieux. Et de ne pas de se fixer de limites. Mais pour cela, il faut travailler dur et accepter de faire des sacrifices. Les études de Médecine sont longues et fastidieuses (8 ans), il faut ensuite faire 4 ans supplémentaires pour être cardiologue et 2 ans pour être cardiologue interventionnel. Sans oublier la carrière universitaire qui est contraignante surtout au début. Il faut du courage et de la persévérance. Mais c’est passionnant. La meilleure récompense c’est cette satisfaction morale d’avoir sauvé en urgence la vie d’un patient.