GROGNE CONTRE L’AUGMENTATION DES TARIFS DE L’INTERNET MOBILE EN CÔTE D’IVORE : Une occasion de lever l’opacité qui existe dans le secteur des télécommunications (1/4)
Auteurs : J. DJAMA et F. AKABE
L’Autorité de Régulation des Télécommunications en Côte d’Ivoire (ARTCI) fait face à la grogne des Ivoiriens contre sa mesure de fixer le tarif plancher de détail de l’internet mobile à 0.8F HT/mégaoctet (Mo), représentant une baisse de 0.2F HT/Mo par rapport au prix plancher fixé dans sa décision de 2020.
Pourquoi les Ivoiriens seraient-ils contre une baisse du tarif plancher ? Ça peut paraître surprenant d’autant plus qu’une baisse de tarif est dans l’intérêt des consommateurs des produits et services de grande consommation, et en particulier des services essentiels comme la télécommunication et les postes.
Pour comprendre ce paradoxe, il faut (i) revenir aux mesures imposées aux opérateurs par le gendarme des télécoms dans sa décision n°2020-0599 du 09 septembre 2020, et leurs applications pour ensuite (ii) analyser la décision de 2023 et enfin (iii) tirer les implications de cette situation pour identifier les problèmes à solutionner dans cette affaire.
- Les mesures de 2020 et leurs applications
I.1 Les motivations des mesures
Les mesures avaient été motivées par le constat d’une tendance baissière du taux de croissance des revenus du marché de détail de la téléphonie mobile entre 2017 et 2019 (+3.7% en 2017, +1.8% en 2018 et -2.9% en 2019). Les causes qui avaient été évoquées par l’ARTCI sont essentiellement (i) les offres promotionnelles sauvages des opérateurs allant parfois à « 700% de bonus », occasionnant en partie (ii) la baisse du tarif de l’internet mobile, passant de 2.6F/Mo à 0.9F/Mo entre 2016-2019, et qui (iii) présentait l’activité internet mobile dans une situation de ventes à perte (le tarif serait 2 fois inférieur au coût de revient du service).
I.2 Les mesures et leurs applications par les opérateurs avant janvier 2023 ?
Ayant analysé le marché et dressé le constat ci-dessus, le régulateur a voulu prendre des actions afin « de juguler la baisse de valeur et redynamiser le marché ». Il a ainsi jugé bon de prendre les mesures suivantes dont l’application n’a pas été effective (sauf à la marge) :
(i). Fixation d’un prix plancher à 1.0FCA HT/Mo – Non appliquée
(ii).Limitation des offres promotionnelles à 100% et dans une limite de 3 par semaine à intervalle de 7 jours pour une promotion portant sur la même offre – Appliquée partiellement (respect du plafond 100%) ;
(iii).La conservation et l’accumulation des avantages acquis par le client sur les offres de bases et les offres promotionnelles même après leur durée de validité. – Non appliquée.
La troisième mesure (iii) qui, selon nous, n’a aucun lien avec le constat dressé, sinon qui irait en sens inverse d’un objectif de croissance des revenus et des rentabilités, a été introduite par le régulateur en « considérant les problématiques soulevées par les consommateurs relativement à la jouissance des avantages commerciaux proposées sur les offres de service des opérateurs télécoms ».
La non-prise en compte de ces mesures par les opérateurs et les plaintes incessantes des consommateurs sur « les réseaux sociaux » liées à la non-application de la mesure (iii) relative à la conservation et cumul des avantages acquis, ont amené le régulateur à exiger une application effective de ses mesures de 2020.
- La décision de 2023 et son application
II.1. Réaffirmation des mesures de 2020 dans la décision de 2023
En dépit de la non-application des mesures de l’ARTCI par les opérateurs, le secteur de la téléphonie mobile a globalement enregistré de bons résultats depuis 2020 avec notamment :
(i).Une évolution subséquente entre 2020 et 2021 des résultats nets des opérateurs de 31.9%, 31.6% et 100% respectivement pour ORANGE CI, MOOV AFRICA CI, MTN CI.
(ii).Une hausse de 3.1% au premier semestre 2022 des revenues du secteur (488 mds FCFA) tirée principalement par les offres d’internet mobile (+29.4% à 178mds FCFA), représentant 36% du chiffre d’affaires du secteur.
(iii).Une très forte hausse des marges dégagées sur l’internet mobile entre 2020 et 2021 de 95%, 39% et 6.4% respectivement pour ORANGE CI, MTN CI et MOOV AFRICA CI.
Toutefois, malgré ces bons résultats, le régulateur, dans sa décision n°2023-0883 du 12 janvier 2023, a relevé la non-application des mesures de 2020 par tous les opérateurs sans exception, constatant même, avec une certaine inquiétude que « le prix moyen du Mo a connu une baisse de 11.35% passant de 0.56 FCFA à 0.50FCFA entre le 1er semestre 2021 et le 1er semestre 2022 » avant de se féliciter que « cette baisse a été contenue, à la suite notamment de la mesure de limitation des avantages à 100% ».
Ce dernier point venait conforter ainsi une totale confiance aux mesures décidées en 2020.
Pour l’ARTCI, il fallait donc rappeler ses mesures aux opérateurs et rester ferme afin que l’application soit effective cette fois – d’autant plus que les consommateurs bouillonnaient sur les réseaux sociaux, accusant les opérateurs de ne pas respecter leur droit acquis en 2020 relatif à la conservation des avantages.
En rappelant sa mission de « protection des intérêts des consommateurs des services de télécommunications mobiles » que lui confère l’article 72 de l’ordonnance n°2012-293 du 21 mars 2012, relative aux télécommunications, l’ARTCI a donc décidé de réaffirmer les mesures de 2020 mais avec quelques ajustements à la marge qui, selon elle, sont relatifs à un retournement favorable de la dynamique du marché et de l’activité Data depuis 2020. Les nouvelles mesures étant :
(i). Fixation d’un prix plancher à 0.8FCFA/Mo (contre 1.0FCFA/Mo en 2020) ;
(ii).Limitation des offres promotionnelles à 200% (contre 100% en 2020) avec un nombre de jours de promotion/mois ne dépassant pas 10 jours ;
(iii).La conservation et l’accumulation des avantages acquis par le client sur les offres de bases et les offres promotionnelles même après leur durée de validité.
II.2. Mise en application des mesures de 2023
L’article 12 de la décision de 2023 donnait deux mois aux opérateurs pour mettre en application ces nouvelles mesures.
Constatant l’inaction des opérateurs malgré cette nouvelle décision, le régulateur leur aurait adressé des courriers, leur intimant l’ordre de mettre en application les nouvelles mesures au plus tard le 06 avril 2022.
Sans avertir leur clientèle au préalable, les opérateurs ont, le jour-J, informé les consommateurs et augmenté dans la foulée les tarifs faciaux de leurs offres de forfaits internet mobile.
A titre d’exemple : Le forfait mois de 5 000 FCFA pour 7.2 Go d’Orange (soit 0.69 FCFA TTC/Mo) est passé à 5 000 FCFA pour 5 Go (soit 1.0 FCFA TTC/Mo) correspondant à une augmentation de 45% du tarif de l’internet mobile.
Pour les populations confrontées déjà à une situation générale de cherté de la vie, cette forte augmentation de l’internet mobile, service essentiel, est incompréhensible. Il n’est pas question pour elles d’accepter ces nouveaux tarifs.
Les consommateurs ont adopté des stratégies de boycott des produits et services de ces opérateurs pour protester « (…) contre l’ARTCI pour sa décision incompréhensible et contre les opérateurs pour leur cupidité et pour l’ensemble de leurs œuvres contre les Ivoiriens, depuis des décennies. », selon les propos du député Assalé Tiémoko, chef de file de la contestation.
II.3. Evolution de la situation
C’est peut-être la première fois, sans risque de nous tromper que les Ivoiriens sont quasi-unanimement unis, sans considération politique, pour faire savoir leurs mécontentements.
Le gouvernement, avec à sa tête M. Achi Patrick, a décidé de mener des actions pour calmer la colère des consommateurs. En attendant, l’ARTCI, prétextant un vice de forme a intimé l’ordre aux opérateurs de revenir aux anciens tarifs avant qu’une solution plus appropriée ne soit trouvée dans les jours à venir.
Cependant, la mobilisation ne faiblit pas du côté des consommateurs, qui exigent à ce que les anciens tarifs prennent effets le plus rapidement possible. Les opérateurs, de leur côté, à l’exception de Moov CI (qui s’était exécuté immédiatement), ont déclaré revenir aux anciens tarifs dans un délai de deux semaines pour des contraintes techniques.
A la date du 25 avril, tous les opérateurs ont affirmé être revenus aux anciens tarifs tout en continuant les négociations avec le régulateur pour l’application de la décision de janvier 2023.
III. Notre approche de la situation
Nous ne doutons pas qu’une solution sera trouvée dans les jours à venir pour éteindre cet incendie.
Mais nous pensons qu’il ne s’agira pas de se contenter seulement de la solution même si elle va dans le sens de calmer les consommateurs. Ce genre de décisions sont très souvent politiques et oublient d’identifier les vrais maux pour proposer les solutions adéquates.
Il faudra surtout être en mesure d’identifier les maux qui ont conduit à cette situation afin de proposer des solutions de moyen/long terme.
Parce que pour nous,
Toute grogne est utile !
Que celui qui grogne ait raison ou pas, il fait œuvre utile à la société !
A condition, qu’il exige qu’on lui explique pourquoi il a raison ou tort !
Et qu’il ait compris pourquoi il a raison ou tort !
Il ne doit pas se satisfaire uniquement de la solution, même si elle est à son avantage !
Parce qu’en fin de compte, nous pensons que John Stuart Mill, économiste et philosophe britannique du XIXe siècle avait raison en affirmant : « Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait ; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et si l’imbécile ou le porc sont d’un avis différent, c’est qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question : le leur. »
Oui ! Ne pas se satisfaire uniquement de la solution permettra de lever l’opacité qui existe dans le secteur des télécommunications.
C’est dans cette optique que nous publierons une série d’analyses critiques sur le secteur afin de (i) comprendre pourquoi nous sommes en arrivés là et (ii) proposer des solutions adéquates qui prendront en compte les objectifs à court, moyen et long terme.
Note sur les auteurs
Jhon DJAMA
Jhon est diplômé du Programme grande école d’HEC Paris (H.19) et travaille dans le conseil aux entreprises dans le cadre de leurs opérations de fusions/acquisitions
Il est également titulaire d’un diplôme d’Ingénieur des Travaux Publics de l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire) qui lui a permis d’exercer au Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) sur les Programmes Présidentiels d’Urgence (PPU) 2014-2016
Franck AKABE
Franck est un ingénieur Télécoms diplômé de l’Université Paris Est Marne-la-vallée 2015.
Il exerce en tant que Responsable Opérationnel Grands Comptes chez un opérateur Télécom en France
Décision n°2020-0599 du conseil de régulation de l’ARTCI en date du 09 septembre 2020 portant encadrement des offres de services sur le marché de détail de la téléphonie mobile
Décision n°2023-0834 du conseil de régulation de l’ARTCI en date du 12 janvier 2023 portant encadrement des offres de services sur le marché de détail de la téléphonie mobile
Courrier du 05 avril selon le député Assalé Tiémoko
One Response to GROGNE CONTRE L’AUGMENTATION DES TARIFS DE L’INTERNET MOBILE EN CÔTE D’IVORE : Une occasion de lever l’opacité qui existe dans le secteur des télécommunications (1/4)