
STRATEGIE OCEAN BLEU : UNE REPONSE POUR LES MARCHES AFRICAINS SATURES ? Par Meryl BONI
Réinventer la concurrence plutôt que s’y soumettre
Dans de nombreux secteurs économiques africains — transport, agroalimentaire, cosmétique, services digitaux — l’intensité concurrentielle est telle que les entreprises se livrent une guerre des prix féroce. Ce phénomène donne lieu à ce que les auteurs W. Chan Kim et Renée Mauborgne appellent un « océan rouge » : un espace de marché saturé, où les acteurs se battent pour les mêmes clients, avec des offres similaires, au prix de marges rognées. Face à cela, la stratégie Océan Bleu offre une alternative audacieuse : créer un nouvel espace de marché, sans concurrence directe, en proposant une valeur inédite à un public souvent négligé. Mais cette approche, née dans les grands marchés, peut-elle être utilement transposée au contexte africain ?
Comprendre la logique de l’Océan Bleu
La stratégie Océan Bleu repose sur un principe simple mais exigeant : sortir de la logique de concurrence pour concevoir une nouvelle demande. Cela suppose de ne pas se contenter d’améliorer l’existant, mais de redéfinir la manière même dont on crée de la valeur. On ne cherche plus à faire mieux que les autres, mais à faire autrement. Cela passe par l’« innovation-valeur », c’est-à-dire la capacité à accroître la valeur perçue par le client tout en maîtrisant les coûts, en réinterrogeant les standards du secteur et en se tournant vers les non-clients, ceux que l’offre actuelle ne touche pas.
L’Afrique, un terrain fertile pour les Océans Bleus
Contrairement aux idées reçues, le continent africain offre un terrain propice à l’application de cette approche. De nombreux marchés y sont saturés en apparence, mais souvent inadaptés à la majorité des consommateurs. Les modèles dominants, souvent copiés des économies occidentales, échouent à intégrer les spécificités locales : faibles revenus, contraintes logistiques, barrières culturelles ou technologiques. Par ailleurs, l’absence de régulations rigides dans certains secteurs permet une liberté d’innovation plus grande. Enfin, la jeunesse des marchés et la rapidité de diffusion des innovations digitales ouvrent des fenêtres pour réinventer l’offre bien plus vite qu’ailleurs.
Des exemples africains inspirants
Plusieurs entreprises africaines illustrent brillamment l’esprit Océan Bleu. Au Kenya, Safaricom a créé M-Pesa, une solution de paiement mobile par SMS qui a permis à des millions de personnes sans compte bancaire d’effectuer des transactions, là où les banques traditionnelles avaient échoué. Au Nigéria, Wecyclers a mis en place un modèle de recyclage participatif dans les quartiers populaires, en transformant les déchets en monnaie d’échange. En Côte d’Ivoire, des start-ups comme Julaya ou Djamo ont su proposer des services financiers adaptés aux réalités des PME et des travailleurs informels, là où les acteurs classiques n’avaient pas su répondre.
Appliquer une stratégie Océan Bleu dans le contexte ivoirien
Une PME ivoirienne peut s’inspirer de cette logique à condition d’adopter une démarche structurée. Il faut d’abord identifier les frustrations non traitées du marché : ce que les clients critiquent, ce qu’ils évitent ou ce qu’ils font eux-mêmes faute d’offre adaptée. Il convient ensuite de repenser la proposition de valeur en se demandant ce qu’il faut éliminer, réduire, augmenter ou créer dans l’offre actuelle. Cette méthode, connue sous le nom de grille des 4 actions, permet de sortir de la reproduction des modèles dominants. Il est essentiel de tester à petite échelle, de s’appuyer sur les retours terrain, et d’ajuster rapidement. Enfin, une offre innovante nécessite un effort de pédagogie : le marché doit être éduqué à cette nouvelle manière de répondre à ses besoins.
La stratégie Océan Bleu n’est pas une théorie déconnectée : elle peut devenir un puissant levier pour les entrepreneurs africains désireux de sortir de la compétition stérile. Elle exige de prendre du recul, d’écouter autrement les signaux faibles du marché, et de faire preuve de créativité stratégique. Dans un environnement où les ressources sont limitées mais les besoins immenses, créer un nouvel espace de marché peut être non seulement plus rentable, mais aussi plus impactant.
Chez Athari Advisors, nous croyons que c’est en repensant les règles du jeu que les PME africaines pourront croître durablement, en créant leurs propres océans bleus au lieu de se noyer dans les rouges.